vendredi 5 août 2022

Réflexions en marge de ma participation à la biennale d’art contemporain Art-en-chapelles

Manifeste pour les yeux qui regardent

L’injonction largement diffusée par les industries culturelles, et reprise à l’unisson par le politique pour une certaine propreté de la parole, de l’image et des comportements se traduit chez l’humain par la peur de FAIRE UN FAUX-PAS, de commettre un impair. Cette nouvelle normalité aggravée par l’omniprésence des appareils permettant de photographier ou de filmer, nous contraint à la conformité de parole et d’attitude. Cela nous amène à anticiper toute situation, c’est-à-dire à s’armer de réponses avant même d’être confronté à la situation.

Or, la vie biologique, psychologique et animale est instinctive, paradoxale, contradictoire, hésitante, incertaine.
En adhérant au jeu établi de la parole et du comportement politiquement corrects, on renonce à sa vie propre, à sa vue propre pour se reposer sur l’avis général fondé sur des statistiques.

La vie que l’on mène en société est une vie marquée par les habitudes que l’on nous a fait prendre. L’éducation que nous avons reçue est calquée sur les trajectoires des autres, et ces tiers sont exclusivement des gagnants. Prendre comme référence le CV de l’artiste, les lieux où il a exposé, les salles où il s’est produit, le prix des oeuvres vendues, ne sont que quelques exemples de la primauté de l’image à laquelle l’on mesure faussement et les qualités humaines de l’artiste, et la charge émotionnelle de ses oeuvres.

Il est urgent de changer d’attitude. Dans le domaine des arts et de la culture, les yeux qui regardent peuvent s’affranchir de ce carcan social, en observant les points suivants:
1) Dans les musées, renoncer aux audio-guides
    a) ils diffusent des informations pré-mâchées
    b) les usagers prétendent que c’est intéressant, mais ils ne retiennent que le fait que l’audio-guide était intéressant, pas son contenu
    c) chacun (producteurs et utilisateurs) pense que cela fait gagner du temps (plus besoin de recourir longuement aux dictionnaires, etc.). Mais du temps gagné sur quoi ? Et que fait-on du temps gagné?

2) Renoncer à lire les légendes des images, photographies, peintures, sculptures, installations
    a) le format s’appréhende par le face à face corporel et visuel
    b) la technique est secondaire puisque liée au temps de travail
    c) après la confrontation avec l’oeuvre, le titre pourra servir de clé
    d) après avoir vu l’oeuvre, la date de sa réalisation permettra de placer l’oeuvre dans son contexte historique
    e) après avoir vu l’oeuvre, le travail de médiation pourra aider les yeux qui regardent à clarifier la démarche de l’artiste et à entrevoir une autre approche que la sienne propre

3) Ne pas connaître l’artiste, le metteur en scène, le photographe, le peintre, l’écrivain avant d’avoir vu, lu, entendu l’oeuvre
    a) on évite les a priori, les conclusions hâtives. On ébauche une vision personnelle.
    b) le CV de l’artiste est un résumé de SA vie. Les yeux qui regardent ont leur vie propre qui est différente. Le risque est de voir le monde par procuration.

4) Enfin, s’oublier soi-même, lâcher tout ce que l’on pense savoir de soi et ce à quoi l’on se raccroche (orgueil, prestance, taille, savoir-faire, connaissances, etc.)
    a) être comme une éponge et capter tout ce que nos sens permettent de capter. Il faut, dans un premier temps, emmagasiner le plus de détails possibles, tout en étant conscient de l’ensemble. C’est un exercice difficile. Faire face au choc émotionnel, qu’il soit positif ou négatif est un apprentissage et demande par conséquent un travail.
    b) accéder finalement à sa propre présence, être face à soi comme en face de l’oeuvre, comme on le serait face à une personne inconnue. Tout le gain de la rencontre en présence tient à ce que je ressens au fond de moi et à ce que j’en fait. Toute contribution antérieure venant de l’extérieur dilue ma propre responsabilité.

Aujourd’hui, on confond plaisir, bonheur, jouissance, comme on confond vitesse et urgence.Ce qu’on nous vend comme plaisir (fun) est de la surface sans consistance ni valeur, car elle produit un manque qui demande à être répété. Ce plaisir facile ne demande aucun travail, c’est le mode de la surenchère passive. Il suffit de se laisser happer.
Or, la vie est d’abord frustration. L’apprentissage, la connaissance se construit sur l’échec, non sur la réussite. La frustration (par ex. de ne pas comprendre une oeuvre) appelle un travail qui débouche en général sur une meilleure connaissance de soi. Il en découle une grande satisfaction qui renforce la confiance que l’on a en soi.
Développez votre instinct comme l’artiste développe son questionnement du monde. La confrontation des deux produit des interrogations, et donc du sens.

Biennale d'art contemporain
jusqu'au 21 août 2022
 circuit 2: ma-je-ve 14 - 18 h | di 10 - 18 h
circuit 1: lu-me-ve 14 - 18 h | di 10 - 18 h
tous les sites sont ouverts le lundi 15 août 2022
 

nouvel atelier