lundi 14 décembre 2020

LES IMAGES

Dialogue, dans une galerie d'art, entre Tirésias le devin aveugle et un publicitaire

 

TIRÉSIAS             Raconte-moi cette toile, elle m'attire.

PUBLICITAIRE    Pour ce que tu en vois. Il n'y a là rien de nouveau. Regarde plutôt celle-là où dominent les jaunes avec des coulures rouille.

TIRÉSIAS             Il n'y a là rien qui m'émeut. Tu décris des facilités.

PUBLICITAIRE    Tu as la peau tannée par les années. Te voilà désabusé. Tu as vu trop d'images au cours de ta vie.

TIRÉSIAS             Les images qui m'importent se sont inscrites en moi. Penses-tu que les images que tu produis laissent des traces chez ceux qui les regardent ?

PUBLICITAIRE    Mes images sont efficaces. Elles servent le temps que je leur imparti. Puis viennent de nouvelles images, plus efficaces encore, chacune avec un temps d'action limité, bien précis.

TIRÉSIAS             Tu sembles si sûr de toi. Si je comprends bien, les traces que laissent tes images sont fugitives, aussitôt remplacées par d'autres. Elles sont donc au service d'une cause.

PUBLICITAIRE    Elles servent d'appât, en effet.

TIRÉSIAS             Nous n'employons pas les mêmes mots. Nouveau serait que la neige ne fonde plus. Cela remettrait en question les lois de la physique fondées sur l'observation et l'expérimentation.

PUBLICITAIRE    En art aussi les lois sont naturelles.

TIRÉSIAS             Sont-elles fondées sur l'observation ? Que je sache, le nombre d'or est une pure construction.

PUBLICITAIRE    Les Grecs ont érigé des statues à l'image de l'homme. C'est là du mimétisme. Le muscle préside à toutes leurs représentations.

TIRÉSIAS             Quel était le rôle de l'image en ce temps-là ?

PUBLICITAIRE    Une certaine forme de dévotion ne devait pas lui être étrangère.

TIRÉSIAS             Les images peintes par les hommes préhistoriques sur les parois des grottes sont des images qui sont plus que des images. Elles n'ont guère changé en plus de vingt mille ans.

PUBLICITAIRE    Qu'ont-elles de plus puisqu'elles donnent aussi à voir des figures ? L'image n'est rien d'autre qu'une autre forme de langage. On ne va pas ajouter un sens caché aux mots.

TIRÉSIAS             Penses-tu que les images que tu produis donnent à voir quelque chose de plus que ce qu'elles montrent ?

PUBLICITAIRE    C'est là le savoir-faire de mon métier et mon génie.

TIRÉSIAS             Ne donnent-elles pas plutôt à regarder qu'à voir ?

PUBLICITAIRE    Ce qu'elles donnent à voir, c'est moi qui en décide.

TIRÉSIAS             En créant une image, l'artiste se dévoile. Toi tu t'y camoufles.

PUBLICITAIRE    C'est précisément ce que je reproche à la peinture que tu dis apprécier. Elle ne dévoile que l'homme qui est derrière le pinceau. Il n'y a là rien de nouveau.

TIRÉSIAS             Chaque jour tu produis de nouvelles images. Le peuple en demande-t-il autant ?

PUBLICITAIRE    Bien entendu. Mes images s'adressent à des humains qui ont été conditionnés pour regarder et réagir à ce que leurs yeux ont perçu.

TIRÉSIAS             Te souviens-tu des images que tu as créées ?

PUBLICITAIRE    Le passé ne m’intéresse que pour ce que je peux en exploiter.

TIRÉSIAS             Chaque jour qui passe, je vois des dizaines, des centaines d'images dans ma tête. Des images du passé qui peuvent en générer d’autres sans s’effacer. Sans passé je ne peux construire le présent.

PUBLICITAIRE    Veux-tu dire par là que tu sais lire et comprendre le langage des images ?

TIRÉSIAS             J'ai appris à lire les images qui sont plus que des images. Au Moyen Âge, les pauvres gens qui ne savaient pas le latin aussi avaient ce savoir-là. Des couleurs sur les fresques des églises ils connaissaient la symbolique. Que sait aujourd'hui le peuple des images que tu produis ?

PUBLICITAIRE    Tu sembles dire que nous avons perdu quelque chose. Les gens à qui s'adressent mes images ne doivent rien savoir de l'image. Ce que l'image leur ordonne, c'est de réagir comme je le veux.

TIRÉSIAS             Tu es donc le seul à parler ce langage dont tu détiens les règles secrètes. Tu as raison, nous n'avons rien perdu. Mais nous n'avons rien construit non plus. L'image qui m'émeut au-delà d'elle-même, je sais la lire même si je ne la regarde pas, parce que j'ai soigné le rapport que j'ai avec moi-même. Toi, tu fais vivre les gens en-dehors d'eux-mêmes, et ils ne le savent pas car ils sont aveuglés par tes images. Ils ne savent plus voir. Ils ne font que regarder sans se souvenir car ils ne le peuvent.

Tirésias par Füssli (détail)

(La forme de ce texte m'a été inspirée par les Dialoghi con Leucò de Cesare Pavese)
 

lundi 16 novembre 2020

Parution du catalogue Bourbaki

Au pays des Bourbaki Vient de paraître :
Au pays des Bourbaki, 150 ans de la retraite de l'armée de l'Est 1871

Le catalogue propose des vues croisées, historiques et artistiques, de cet épisode historique qui a touché la Suisse et en particulier le canton de Neuchâtel en 1871. Vers la fin de la guerre franco-allemande, le général Clinchant demande l'internement en Suisse de l'armée de l'Est pour éviter d'être livré aux Allemands. Près de 87'000 soldats seront ainsi internés. Ce sera le premier engagement de la Croix-Rouge nouvellement créée. En 2021, nous commémorerons les 150 ans de cet événement, notamment par une exposition historique au musée de Pontarlier, et une exposition des oeuvres de mon projet Bourbaki au château de Joux.

Les contributions au catalogue:

Laurène Mansuy-Gibey, La retraite de l'armée de l'Est : une rencontre entre trois nations
Jean-Bernard Passemard, Les forts de Joux et du Larmont dans le combat de la Cluse
Philippe Hanus, La retraite des Bourbaki : une mémoire franco-suisse en partage?
Géraldine Veyrat, Laurent Guenat : au pays des Bourbaki
Jessica Mondego, La bibliothèque de carton de Laurent Guenat
Alexandre Caldara, vers hier
 
Outre ces textes, l'ouvrage est richement illustré, et présente les oeuvres (peintures sur toile et sur papier, livres d'artiste) qui feront l'objet de l'exposition qui se déroulera au Château de Joux. En raison de l'épidémie, l'exposition qui était programmée en été 2020 a été reportée en été 2021. 
L'ouvrage peut être commandé dans toutes les bonnes librairies.
 
19,0 x 26,5 cm, 104 pages, Editions Mare et Martin, Paris, 2020  |  ISBN 978-2-36222-029-6

 


mercredi 28 octobre 2020

 Mise à jour du site et nouveau livre d'artiste

Une partie des peintures du projet "portraits" exposées récemment par la galerie Artemis sont désormais visibles sur le site.

Un nouveau livre d'artiste vient d'être achevé. On y accède par ce lien.

Titre        e-meute
Format    55 x 40 cm, 21 pages
Technique mixte sur carton
 
Les visites à l'atelier sont toujours possibles sur rendez-vous.
Pour me contacter, c'est ici.

dimanche 27 septembre 2020

Exposition | Galerie Artemis

portraits 

du 3 au 24 octobre 2020 | galerie Artemis à Corcelles (NE).

A l'occasion de cette exposition, Marcel Cottier publie le texte Laurent Guenat. Dans l'épaisseur du portrait. Il est édité par -36° édition dans la collection 8pA6 dont c'est le numéro 98. Le texte pourra être acheté sur place pendant la durée de l'exposition ou commandé à -36° édition.

Marcel Cottier introduira aussi l'exposition lors du vernissage le samedi 3 octobre. 





vendredi 11 septembre 2020

 
Peinture sur papier 63 x 51 cmFusain et mine de plomb sur papier 50 x 40 cm 
 
Exposition | Ausstellung

Dès le 3 octobre, j'exposerai une série de travaux issus de mon projet portrait. Débuté en 2016, en parallèle au projet Bourbaki, le projet portrait comprend des travaux sur toile et sur papier. C'est la première fois que je montre ces travaux. Je me réjouis de vous y accueillir.

3 octobre au 24 octobre 2020
galerie Artémis | Corcelles (NE)
Vernissage Samedi 3 octobre 16 h - 18 h

Ab dem 3. Oktober werde ich Arbeiten des Projektes portrait zeigen. Ausgestellt werden Arbeiten auf Leinwand und auf Papier. Dies ist das erste Mal, dass ich diese Werke zeige. Ich freue mich Sie bei dieser Gelegenheit zu begrüssen.


vendredi 31 juillet 2020

Portrait


Est-ce toujours, d’ailleurs, tellement avec les yeux qu’on contemple la lune et les fleurs? La simple pensée du printemps, sans même qu’on sorte de chez soi, la pensée d’une nuit de lune, fût-on étendu sur sa couche, sont sources de calme et de charme.
Urabe Kenkô, Les heures oisives, Gallimard-Unesco, 1968, p. 117


Aujourd’hui, ce n’est pas l’environnement qu’il faut défendre, au risque d’en faire un musée immobile. C’est l’homme qu’il faut explorer en tant que vivant parmi d’autres vivants comme l’arbre, le moustique, le lion, la tique, le pissenlit et l’ortie. Lévi-Strauss préconisait de renoncer à dresser une barrière entre l’homme et l’animal. Cette délimitation risque en effet de hiérarchiser les rapports d'être à être. On sait comme cette hiérarchisation a mené à la barbarie de la shoah où des humains ont été dégradés au rang d’animaux. On constate aussi, aujourd’hui, les limites de la pensée anthropocentrée face à la complexité des questions environnementales par exemple. Et pour comprendre la relation de vivant à vivant, j’explore par la peinture le lien qui relie l’humain à l’humain, et tout d’abord à l’autre et aux autres que je suis, par la figure du portrait. C’est la condition pour ne pas se payer de mots, mais pour passer à l’action. J’ai très vite observé en effet que les liens qui existent entre soi et soi ne peuvent être réglés d’un revers de manche. Pas plus qu’en allumant la télévision ou en consommant. Préciser ces interactions requiert un minutieux et patient travail. Ne serait-ce déjà en abordant la question que j’emprunte au philosophe japonais Washida Kiyokazu : Ce corps est-il moi ou est-il à moi ? 

Un premier constat s’impose : ce travail n’est jamais achevé, il faut le remettre en chantier chaque jour, le tenir en activité comme des braises précieuses. Il s’adresse d’abord et impérativement à soi. Au-delà, toute interaction avec un « autre vivant » requiert la reprise de ce travail de questionnement. Rien ne laisse supposer que les interactions avec d’autres entités vivantes seraient moins complexes.
Cette approche, telle que je la pratique en peinture, révèle la complexité des rapports qui régissent les interactions entre soi et soi. Le visage comme entité peut exprimer la présence au monde autant que l’interaction avec autrui qui commence elle aussi toujours d’abord par soi, puisque toute perception est renvoyée aux expériences passées du sujet, pour y trouver du sens. Les expériences sédimentées au fil du temps lui servent de référence pour mesurer ce qui est perçu, entendu, senti, touché. Ainsi, le portrait pris dans son sens le plus large est l’expression du contact établi avec le monde vivant et non vivant.
Figurer le visage, et à travers lui et face à lui, l’être à soi, et l’être au monde. Le regard lui-même, n’en n’est qu’une partie, et il n’est pas plus essentiel que la voix, l’ouïe, l’odorat ou le mouvement. La direction du regard, le port de la tête, l’arrière-fond de la peinture participent du sentiment général dégagé par l’image peinte. La peinture ou le dessin d’une plante, d’un champignon, d’un arbre peuvent donc également être considérés comme des portraits, voire comme des autoportraits. En effet, s’il est portrait de lui-même, il est aussi autoportrait, c’est-à-dire miroir de moi-même, qui me renvoie à mon enracinement, à questionner mes branches, mon volume, mes sédiments, mes images.

Ce que je cherche à faire à travers le portrait - l’intuition m’en est venue à la lecture de Derrida -, c’est de rassembler les éléments singuliers mis à jour après les avoir fait apparaître. Le lieu de ce rassemblement est la toile peinte. Ce sont les peintures résultant de cette démarche qui feront l'objet de la prochaine exposition à la galerieArtémis à Corcelles au mois d'octobre.

mercredi 1 juillet 2020



Je prépare l'exposition du mois d'octobre à la galerie Artémis (Corcelles, NE). Aujourd’hui, à l’atelier, le vent m’apprend à regarder. Que vois-je?

mercredi 3 juin 2020

Report de l'exposition Bourbaki | Prochaine exposition

L'exposition Bourbaki prévue cet été au Château de Joux est reportée à l'été 2021.
L'exposition prévue à L'Esperluette (Pontarlier, F) est aussi reportée en septembre 2021.

Quelques peintures de mon projet Bourbaki seront néanmoins visibles au Musée de Pontarlier dès le 1er février 2021 dans le cadre de l'exposition historique de la commémoration des 150 ans de la retraite de l'armée Bourbaki. Cette exposition inclura notamment les deux lithographies imprimées récemment chez Raynald Métraux à Lausanne.


Papier: Rives BFK pur chiffon 250 gm2
Format: 65 x 50 cm
Impression: lithographique, noir
Tirage: 25 exemplaires
Rehaut à l'encre par l'artiste





Prochaine exposition |  28.06 - 16.08 2020
100 ans d'estampes et de multiples visités par 16 artistes de Visarte Neuchâtel
Vernissage 28.06.2020 - 11 h et 14 h
J'ai travaillé sur une gravure réalisée par Christiane Dubois en 1990.

samedi 14 mars 2020

LIVRES D'ARTISTE

Le récent voyage au Japon fut l'occasion de questionner mon travail artistique. Se confronter à une autre culture fait émerger des questions innombrables qui renvoient souvent à nos propres paradoxes. J'ai exploité cette situation du regard du dehors qui, grâce à ce qu'il voit, regarde et questionne d'où il regarde. Les deux premiers livres d'artiste sont présentés ci-dessous. Un troisième est en préparation.

Pas de porte
J'ai voulu faire le tour des possibilités qui se présentent au voyageur qui aborde une autre culture. La langue bien sûr, les mots dits et écrits, les pictogrammes, les sites historiques et les aspects traditionnels comme la nourriture, les habitudes, les croyances. Par métaphore, l'entrée est aussi celle des bâtiments, des véhicules, de la forêt (lisière), des portes, fenêtres, mais aussi tout ce qui ferme, occulte, volets, grilles, rideaux, persiennes, incompréhension de la langue. Ce travail n’est pas exhaustif. Il est plutôt le résultat d’une démarche urgente visant à collecter rapidement le matériel publicitaire et les premiers journaux qui nous tombent sous la main en arrivant ailleurs. Le matériaux collecté est celui d’un touriste allant se pourvoir à l’information touristique en conseils, en possibilités de visites, d’expositions, etc., comme je l’ai fait moi-même. Ce petit livre a été réalisé en deux jours dans un hôtel capsule à Kyôtô.




Pas de Porte – Livre d’artiste – Kyôtô, 18 & 19 novembre 2019 – Laurent Guenat
3.5 x 9 cm, 44 cartes, prospectus publicitaires, journaux, collés sur carton, anneau métallique, étui synthétique

 
Manga
En parcourant des mangas, j'ai été étonné de l'abondance de détails qui guident le lecteur, lui retirant, du point de vue de mon regard d'Occidental, toute nécessité imaginative. J'ai aussitôt acheté un manga, et transformé la narration par caviardage, pour l'ouvrir à des lectures multiples, en mettant au défi l'imagination du lecteur.











 
Format 17 x 11 cm, 2020, feutre, acrylique
(BEASTARS 2, Shônen Champion Comics, 2017, ©P. ITAGAKI, ISBN 978-4-253-22755-1)

jeudi 5 mars 2020

Lithographies - Projet Bourbaki




Je viens de passer trois jours chez Raynald Métraux à Lausanne pour imprimer deux lithographies qui complèteront l'exposition Bourbaki. Après avoir diversifié les approches artistiques de ce sujet par les livres d'artiste, les dessins au fusain et la peinture, je souhaitais aussi aborder l'épisode historique de l'internement de l'armée Bourbaki en Suisse en 1871 par la lithographie. Les deux sujets retenus ont vu le jour dans une atmosphère de travail intense, stimulante et très conviviale.

Je recommande vivement la visite de l'atelier avec sa grande bibliothèque de pierres, et de la salle d'exposition:

Atelier et Galerie
Raynald Métraux
Côtes-de-Montbenon 6
1003 Lausanne – Suisse
++41(0)21-311.16.66
https://www.atelier-metraux.com/