dimanche 26 novembre 2017

OOO Object Oriented Ontology


C’est le titre de l’exposition qui se tient actuellement et jusqu’au 21 janvier 2018 à la Kunsthalle Basel. Le commissaire de l’exposition, l’artiste et architecte Andreas Angelidakis, a sélectionné les œuvres sur la base des sites internet et de dossiers d’artistes issus de la région trinationale autour de Bâle. Deux de mes peintures y sont exposées.

Le visiteur y découvre un hétéroclite déconcertant. Les œuvres y sont accrochées de manière conventionnelle sur les cimaises, mais aussi en hauteur et en largeur proches les unes des autres sur des échafaudages constitués de poutrelles de bois. J’ai circulé dans les salles, un peu perturbé par ces enclos qui, à mes yeux, soulignent certes l’intention du commissaire, mais ont fait, pour moi, barrage à la lecture des œuvres. Au-delà du choix des œuvres qui est personnelle au commissaire – mais qui m’ont dans l’ensemble paru de qualité moyenne –, il m’est apparu une question intéressante soulevée par cet accrochage hors du commun.


Nous sommes habitués à une réception des œuvres en général facilitée par des cimaises claires ou sombres mais unies, par un alignement choisi et rigoureux. Notre œil, ainsi, peut rester concentré sur ce qui se donne à voir. Ici, avec cet arrière-plan direct que sont les poutrelles de bois qui laissent donc des vides à travers lesquels on voit l’arrière-plan constitué lui aussi de poutrelles, de leurs ombres projetées ou d’autres œuvres, l’œil peine à cerner individuellement une peinture, étant constamment happé par le décor qui l’entoure. Mon regard glissait ainsi d’une œuvre vers l’arrière-plan, de celui-ci aux ombres projetées au plafond, puis au sol où étaient posés des tubes néon et des projecteurs, puis à nouveau vers un œuvre à l’arrière-plan entraperçue entre deux poutrelles de bois. Une circulation que rien dans sa frénésie de stimuli ne parvenait à arrêter.

Le commissaire lui-même aura été dans l’embarras, devant tant de vide, pour accrocher les œuvres. Aussi n’a-t-il pas eu d’autre alternative que de rapprocher les œuvres afin d’effacer le plus possible les trous, au point de les serrer si étroitement – un peu à la mode d’un stand de foire, étiquettes comprises – qu’elles finissent par s’annuler les unes les autres. 


Serait-ce à dire, alors, que la qualité des peintures présentées ne résiste pas au décorum de l’accrochage ? Autrement dit, la qualité d’une peinture serait-elle si fragile qu’elle soit tributaire de son environnement immédiat ? Autrement dit encore, la nature de l’environnement architectural serait-il à ce point déterminant qu’il soit capable de neutraliser la qualité intrinsèque d’une peinture ? Je me suis demandé comment la Madone Sixtine, la Joconde ou une Annonciation de Fra Angelico aurait été transformée par ce genre d’accrochage. Bien sûr notre œil aussi, avec l’éducation à regarder qu’il a reçue, y est pour quelque chose.

Cependant, et c’est ma conclusion provisoire sans toutefois répondre à la question posée ci-dessus qui demanderait un plus long développement, ce que cette exposition montre à voir à la Kunsthalle de Bâle est un concept d’exposition plutôt que des œuvres, qui de ce fait sont au service du concept plutôt que d’elles-mêmes. Les explications du texte d’exposition ne nous mène guère plus loin, puisqu’il prend les visiteurs par la main et leur explique les sentiments et les émotions qui peuvent les saisir en parcourant l’accrochage selon le seul point de vue du commissaire. Le ton du texte d’exposition qui se veut badin, genre visite de musée en course d’école, illustre une forme d’infantilisation des visiteurs découlant du fait qu’on ne leur accorde aucune confiance en leur propre capacité à saisir un nouvel environnement. Il renvoie de facto à la faiblesse du concept mis en œuvre, que la référence à la philosophie de l’ontologie orientée à l’objet de Quentin Meillassoux ne parvient pas à masquer.
LG