jeudi 25 mai 2023

Nouveaux livres d'artiste

Rater mieux - Essayer voir 1   

Ce titre un peu étrange a deux origines: Dans Cap au Pire, Samuel Beckett utilise l'expression rater plus. A la quantité, je préfère la qualité. Je l'ai donc modifiée en Rater mieux. Quant à Essayer voir, je l'ai emprunté à Georges Didi-Huberman qui donne ce titre à son livre où, prenant en exemples quelques artistes, il cherche à voir ce qui se dérobe. 

75 x 50 cm, 28 p., 2022


Rater mieux - Essayer voir 2

En réalisant le no 1 portant le même titre, j'ai pris conscience que j'allais le destiner à la poésie sonore. Fabelsaft l'a effectivement intégré dans sa prestation scénique. Le numéro 2 s'est donc imposé naturellement afin de poursuivre l'exploration de ce sujet, en me libérant des contraintes liées à la diction en public. J'ai conservé le même titre, le même format et le même nombre de pages. En reliant le livre, donc avant de le peindre, j'ai commis un couac involontaire. C'était déjà raté.

75 x 50 cm, 28 p., 2023



GENDER vs GENDER

La tendance est aujourd'hui à l'équilibrage des genres. J'ai été guidé par l'idée que la parité numérique n'était rien si elle n'était complétée par une autre approche d'ordre qualitatif. Que veux dire qualitatif dans ce contexte? Le livre a démarré sans savoir ce qu'il allait devenir. Je n'avais presque plus de couleurs. J'ai enduit les trois premières pages du vert qui me restait, puis j'ai gravé des restes de linoléum que j'ai imprimé par simple pression de la main. J'ai collé ces impression dans le livre, puis j'ai pu commander des peintures. Et le livre a pris l'orientation définitive.

46,5 x 51 cm, 22 p., 2023 


À

Un livre composé de morceaux d'anciennes peintures assemblés à l'aide de vis de reliure. Je ressortais de temps à autre cette pile de peintures pour les réassembler, pour tenter de trouver une suite logique. Pour m'y projeter aussi, cherchant à y glisser des mots. Ce sont mes doigts, en touchant ces pages, qui ont finalement posés les mots en une seule phrase qui commence par À et se termine par un point d'interrogation.


33,5 x 35 cm, 34 p., 2023


samedi 13 mai 2023

Pourquoi scier à la main ?

On me propose une tronçonneuse pour couper mes bûches.
Et on ne comprend pas pourquoi je refuse.


Premièrement, je n’oublie pas que les Grecs anciens appelaient tout objet technique un pharmakon. C’est-à-dire à la fois un remède et un poison. Aujourd’hui encore, tout objet technique présente au moins ces deux aspects, l’un bénéfique, l’autre néfaste. Il en va ainsi avec les médicaments qui présentent presque tous des effets secondaires plus ou moins négatifs, comme de la voiture qui transporte, pollue et fait du bruit. La tronçonneuse aussi, fait beaucoup de bruit, est dangereuse et pollue ou consomme du courant électrique. Avec la portée croissante des effets de la technique est apparu le principe de précaution pour permettre de penser l’utilité de la technique et tenter d’éviter les catastrophes à large échelle. 


D’autre part, la possession ou la présence même de l’objet technique incite à son utilisation. Cela veut dire que l’objet technique que nous avons à portée de main dépossède de la pensée liée à son utilisation. Il est là, donc je l’utilise. Sa présence court-circuite la pensée que nous pourrions ne pas y avoir recours. Il en va ainsi du robot ménager comme de la voiture, de la souffleuse à neige ou de l’ordinateur. En ceci, l’objet technique éloigne de soi les gestes qui nous attribuaient un savoir-faire. Le robot ménager fait perdre l’usage du fouet, geste ancestral qui nous relie à la mayonnaise ou à la sauce que nous sommes en train de confectionner, car le fouet qui prolonge la main nous renseigne sur la viscosité de la matière remuée. La voiture nous désapprend à marcher, la souffleuse à neige nous empêche de penser qu'à cet endroit-là la neige peut éventuellement fondre et disparaître toute seule, l’ordinateur nous fait perdre l’usage de la plume pour écrire une lettre et le risque de la faute d’orthographe que l’on pourrait commettre; il dissipe par conséquent notre concentration puisque le logiciel prend en charge la correction orthographique. Ce constat se répète à toutes les échelles. L’armée d’un pays étant aussi un objet technique, le pays va donc l’utiliser. L’actualité nous en livre des exemples éloquents.


En ayant recours à la scie égoïne pour partager mes bûches, je touche le bois et j’en apprends par conséquent la texture, l’effort physique me réchauffe et j’aurai donc besoin de moins de bois pour chauffer la pièce. Le temps du sciage est aussi un précieux temps de réflexion où s’élaborent des idées qui n’auraient pas pu surgir, la tronçonneuse abrégeant le temps de sciage. Avec la scie manuelle je fais moins de bruit, je n’utilise aucun combustible fossile, je m’accorde un temps de réflexion et je me réchauffe.

A qui m'adresse la remarque qu'en allant plus vite elle ou il gagne du temps, je demande à quoi est utilisé le temps gagné. Parfois, je fais aussi observer que l'on confond, aujourd'hui, vitesse et urgence qui sont deux notions opposées, la première purement quantitative, la seconde qualitative.



dimanche 19 mars 2023

Le geste

 

A la sortie de l'hiver, le geste artistique qui a permis la pratique de l'art

lundi 6 mars 2023

FABELSAFT en concert

 Le jeudi 16 mars 2023 à 18 h 30, FABELSAFT donnera un concert dans le cadre du Festival 2023 de l'AMR à Genève.

Le concert aura lieu à la

Bibliothèque musicale de Genève, Maison des Arts du Grütli (1er étage), rue du Général-Dufour 16, Genève

FABELSAFT, c'est un duo de poésie sonore :

Brooks Giger, contrebasse et Laurent Guenat, voix (textes)

Pour la première fois, le duo intégrera un livre d'artiste de grand format et ses textes dans sa prestation scénique.


 


 


vendredi 3 février 2023

Chemins d'atelier

La Suivante est une revue dédiée à l'art contemporain éditée à Paris.Son numéro 2 vient de paraître. Il publie une série de textes que j'ai écrits pendant et après le projet Bourbaki. Ils évoquent les chemins, imaginaires ou réels, pour me rendre à l'atelier.

Les contributions:

Hito Steyerl, Le contexte est roi, en dehors du contexte allemand

Emmanuel Landolt, Jim Shaw et la contagion des images

Jim Shaw, Une interview à la laverie

Pierre Sylvain Caron, Comme un paysage paisible

Laure Federiconi, La ritournelle d'Ericka Beckman

Damien Guggenheim, Faire la perruque

Fabio Mauri, Selon l'agenda de la performance

Laurent Guenat, Chemins d'atelier

 

La suivante 2, 132 pages, 21 x 16 cm, 12€, ISBN 978-2-9584017-1-9

https://www.facebook.com/revuelasuivante

mercredi 23 novembre 2022

La pratique du livre d’artiste en période de crise

Du confinement imposé lors de la pandémie, au confinement dans mon grenier de quatre mètres sur quatre, n'ayant pas d’autre atelier de l’été 2021 à l’été 2022.


ANI MAL
2020, 67 x 55 cm, 20 pages / exposé en ce moment à la BCUL Riponne à Lausanne

Le Constat, 187 x 175 cm, huile sur toile, 2015

J’ai reçu le livre Croire aux fauves de l’anthropologue Nastassja Martin où l’auteure relate sa rencontre brutale avec une ourse. Cette incitation tombait à point. Le corps-animal, anthropozoomorphe, est en effet un sujet récurrent dans mon travail. La lecture de ce livre m’a incité à poursuivre l’exploration menée en peinture sur toile par le moyen du livre d’artiste.


Chemins d’atelier  2021, 42 x 31 cm, 53 pages (cahier agrafé)

Chemins d'atelier pp. 27-28

Durant six années, j’ai travaillé au projet Bourbaki. Pendant cette période, j’ai fais des aller-retour entre mon domicile aux Bayards et mon atelier situé dans une usine désaffectée aux Verrières. Cet atelier non chauffé, délabré, à un jet de pierre de la frontière qui vit passer les 80’000 soldats de l’armée Bourbaki venus chercher refuge en Suisse en 1871, était le cadre idéal pour traiter ce sujet. Les trajets effectués entre le domicile et l’atelier m’ont inspiré les dessins et les textes de ce cahier agrafé de grand format.


ABOI  2021, 55 x 38 cm, 26 pages

ABOI pp. 16 - 17

Texte sur la 4ème de couverture:
A-t-on le temps d’être aux abois?
Le temps de l’aboi s’écoule-t-il?
Peins-je aboi parce que je suis aux abois?
Puis-je congeler les abois?
Lire aboi met-il aux abois?
Suffit-il de parcourir aboi pour ne pas aboyer?
Aboyer est-il naturel?
La forêt a-t-elle peur des abois?
Aboyer suffit-il pour échapper aux abois?
Puis-je aboyer dans le vide?
Que penser devant mon miroir aux abois?
L’aboi mord-il?


Point de vue  2021, 43 x 49 cm, 22 pages

Point de vue pp. 16 - 17

C’est le livre le plus difficile à cerner puisque le titre lui-même n’en situe pas le lieu mais le cherche.En effet, le point de vue est autant le point d’où l’on regarde que celui que fixe le regard focalisant. Les deux interagissent. Le point scruté trop focalisé renseigne sur l’étroitesse du regard porté, et de même pour un point de vue mal défini, trop général qui embrasse un sujet trop vaste et donc flou.


Scandale 2022, 30 x 19,5 cm, 24 pages emboîtées, gouache sur carton noir

Scandale p. 14

J’étais énervé, j’avais donc faim. Nous étions allés, avec des amis, voir une exposition dans une galerie d’Yverdon. A peine sortis de la galerie, je tombe sur une boulangerie et m’y précipite pour acheter une tranche de tarte aux pruneaux. La serveuse me l’emballe dans une boîte en carton triangulaire du plus bel effet. Je m'inspirai de cet emballage pour donner la forme au prochain livre d’artiste. Le sujet: tout changement de son environnement direct commence par effrayer l’humain, mais il s’y accommode tout aussi vite, quel que soit le changement. Voilà le scandale.


caput pp. 2 - 3

caput 2022, 39 x 29 cm, 28 pages
caput est la tête en latin
Il n'y a plus beaucoup d’espoir, ce qui laisse le champ libre à la violence, la provocation, la rébellion, aux cris, aux hurlements. Le défoulement est nécessaire. La langue, le miroir, le regard sur soi sont notamment convoqués. De petites têtes humaines ailées vivent l’effroi au milieu de la ville. Et que vient faire l'animal ici ?


RUINES
2022, 18,5 x 37 cm, 32 pages, 9 enveloppes-courrier non ouvertes

RUINES pp. 16 - 17

Seule lumière dans cette période, la préparation de mon travail pour la biennale d’art contemporain Art-en-chapelles 2022 (grandes peintures, 2 livres d’artiste, 4 vitraux, une installation)
Après « caput », RUINES est le cri d’un artiste dans un atelier non chauffé. Mais plutôt que la température, c’est la solitude qui, ici, hante l’espace du grenier.
Pour combler ce manque, j’écris des textes que je m’adresse par courrier postal. Je diversifie les formats, la nature des enveloppes, la calligraphie de l’adresse, les timbres d’affranchissement, et finalement les lieux d’où je les envoie. A leur réception, je les intègre dans le livre. Certaines missives sont ouvertes, me permettant de redécouvrir le texte, d’autres sont collées dans le livre intactes, laissant à l’acquéreur la décision d’ouvrir ou non ces enveloppes.


PANSER / ETRE AU MONDE 2022, 10 x 14 cm, leporello, 10/12 pages

PEGASUS, 2022, 10 x 350 cm, leporello, 50 pages

Aménagement d’un nouvel atelier à la Côte-aux-Fées. Petits livres inspirés par les figures que je dessine de la main gauche dans un carnet au cours du trajet en car postal qui m’emmène à l'atelier.


TERRE
2022, 59 x 40 cm (70,5 x 152 cm ouvert), 26 pages
Premier livre à voir le jour dans mon nouvel atelier. TERRE comme toucher terre, atterrir, (re)prendre pied. Mais aussi la terre malmenée (aussi bien la terre arable que la planète) en cette période de situation environnementale et énergétique difficile mais programmée.








vendredi 11 novembre 2022

L'expérience du donné à voir

Le vernissage de l’exposition L’horizon entre les vagues a eu lieu mercredi 9 novembre 2022 sur le site de la Riponne de la Bibliothèque cantonale et universitaire à Lausanne. Le dispositif qui présente les livres d’artiste acquis par la Réserve précieuse est constitué de quatre grandes boîtes opaques percées de trous d’une dizaine de centimètres de diamètres situés à différentes hauteurs. Par ces hublots, les livres se donnent à voir, partiellement, par un ou plusieurs côtés. Des disques de la même taille que les hublots, disposés à côté d’eux sur la face extérieure de la boîte, présentent l’artiste et son travail en quelques mots.


 

Il est vrai que j’ai été saisi, au premier abord de l’exposition, par la frustration de ne pas voir les livres dans leur intégralité, et de ne pas pouvoir les toucher ce qui est, chez moi, la condition même pour exposer mes livres en galerie. Mais ici, le livre n’est plus le mien et l’acquéreur le présente selon son propre point de vue.
 

La double frustration ressentie - de ne pas voir l’oeuvre entière et de ne pouvoir la toucher - est la même que j’éprouve face à un livre immobilisé dans une vitrine. Je ne peux ni en tourner les pages, ni toucher l’objet. Le dispositif choisi ici est plus radical que la classique vitrine. Il oblige à scruter, à doubler le regard - pour le moins -, car les yeux qui regardent ne sont pas certains d’avoir bien vu. Il faut donc re-voir pour confirmer ou infirmer la première perception. N’en va-t-il pas de même pour le voyeur, l’oeil collé au trou de serrure, se rejetant soudain en arrière, revient voir car n’en croyant pas ses yeux.

C’est une épreuve inhabituelle pour les yeux qui regardent. Dans notre société, tout ce qui est éclairé est à vendre ou vendable. Dans les vitrines, le vendable est présenté en pleine lumière et dans son intégralité. Nous y sommes tellement habitués - le tout lumineux est encore renforcé par la pratique des écrans -, que tout ce qui reste dans l’ombre ou qui n’est que partiellement visible n’est pas digne d’intérêt, sans parler de l’outrancier éclairage nocturne des zones d’ombre au passage d’un piéton. L’accessibilité visuelle restreinte est ressentie comme anormale, gênante. Allons-nous encore nous poster dans un coin de forêt à l’aube naissante, au crépuscule, voire en pleine nuit pour y écouter et voir? C’est une émotion particulière qui naît de ce genre de moments où le fantastique, l’imaginaire se superpose au réel précisément par ce que nous n’y voyons pas bien et pas tout. Or, ce pas bien et pas tout est riche de mouvements, de bruits, de suggestions, parce que en présence et riche de présences.

On peut penser à l’analogie avec les images doubles ou les paysages anthropomorphes. Les yeux qui regardent font face à une première image donnée, évidente. Mais la peinture recèle une autre image plus ou moins cachée, plus ou moins visible. Lorsque le titre insinue une notion étrange comme c’est le cas pour Mercier endormi pillé par les singes que le peintre néerlandais Herri Met de Bles a réalisé vers 1550, les yeux qui regardent doivent fournir un effort. L’image cachée une fois découverte, les yeux qui regardent peuvent s’amuser à passer de l’une à l’autre. Le regard s’exerce et s’affine. Ce jeu, d’ailleurs, presque tous les enfants ont pu le faire en détaillant les formes parfois anthropomorphes des nuages.

Le dispositif renvoie aussi à celui du peep-show où le hublot crée par le seul regard une imaginaire intimité avec le modèle se dénudant. Certes, ici, le livre ne se dénude pas et n’est pas dénudé, et ne peut pas non plus se toucher. Par contre, le regard que mes yeux portent sur lui n’est pas perturbé par celui d’autres personnes. Je suis seul, à l’instant où je regarde le livre. Ce lien visuel m’appartient en propre, n’étant pas perturbé par celui d’autres yeux. Dans cet instant privilégié, j’établis avec le livre un lien d’intimité, libéré de la présence d’autrui et par conséquent de la question de la représentation.

La présentation des livres d’artiste choisie ici ne peut finalement que troubler notre addiction de consommateurs, c’est-à-dire du tout à voir immédiatement et dans son intégralité. Son atout, immense, est de ne pas réduire l’oeuvre d’art à un pur produit marchand. Il ne s’agit pas de nier le fait que ces livres ont une valeur commerciale. Mais il s’agit moins du prix, donc d’un aspect quantitatif, que de la qualité du regard que l’on porte sur ces objets. Ce regard, notre regard qu’il faut éduquer à détailler. Notre regard qui, s’il peut apprendre à n’être pas avide, recommencera à poser des questions et à nourrir notre imaginaire et nos désirs.

L’horizon entre les vagues
Bibliothèque cantonale et universitaire,  Riponne, Lausanne, 9.11.2022 - 28.10.2023