OOO Object Oriented Ontology
C’est le titre de l’exposition
qui se tient actuellement et jusqu’au 21 janvier 2018 à la Kunsthalle Basel. Le
commissaire de l’exposition, l’artiste et architecte Andreas Angelidakis, a
sélectionné les œuvres sur la base des sites internet et de dossiers d’artistes
issus de la région trinationale autour de Bâle. Deux de mes peintures y sont
exposées.
Le visiteur y découvre un
hétéroclite déconcertant. Les œuvres y sont accrochées de manière
conventionnelle sur les cimaises, mais aussi en hauteur et en largeur proches
les unes des autres sur des échafaudages constitués de poutrelles de bois. J’ai
circulé dans les salles, un peu perturbé par ces enclos qui, à mes yeux,
soulignent certes l’intention du commissaire, mais ont fait, pour moi, barrage
à la lecture des œuvres. Au-delà du choix des œuvres qui est personnelle au
commissaire – mais qui m’ont dans l’ensemble paru de qualité moyenne –, il
m’est apparu une question intéressante soulevée par cet accrochage hors du
commun.
Nous sommes habitués à une
réception des œuvres en général facilitée par des cimaises claires ou sombres
mais unies, par un alignement choisi et rigoureux. Notre œil, ainsi, peut
rester concentré sur ce qui se donne à voir. Ici, avec cet arrière-plan direct que
sont les poutrelles de bois qui laissent donc des vides à travers lesquels on
voit l’arrière-plan constitué lui aussi de poutrelles, de leurs ombres
projetées ou d’autres œuvres, l’œil peine à cerner individuellement une
peinture, étant constamment happé par le décor qui l’entoure. Mon regard
glissait ainsi d’une œuvre vers l’arrière-plan, de celui-ci aux ombres
projetées au plafond, puis au sol où étaient posés des tubes néon et des
projecteurs, puis à nouveau vers un œuvre à l’arrière-plan entraperçue entre
deux poutrelles de bois. Une circulation que rien dans sa frénésie de stimuli
ne parvenait à arrêter.
Le commissaire lui-même aura été
dans l’embarras, devant tant de vide, pour accrocher les œuvres. Aussi n’a-t-il
pas eu d’autre alternative que de rapprocher les œuvres afin d’effacer le plus
possible les trous, au point de les serrer si étroitement – un peu à la mode
d’un stand de foire, étiquettes comprises – qu’elles finissent par s’annuler les unes les autres.
Serait-ce à
dire, alors, que la qualité des peintures présentées ne résiste pas au décorum
de l’accrochage ? Autrement dit, la qualité d’une peinture serait-elle si
fragile qu’elle soit tributaire de son environnement immédiat ? Autrement dit
encore, la nature de l’environnement architectural serait-il à ce point
déterminant qu’il soit capable de neutraliser la qualité intrinsèque d’une
peinture ? Je me suis demandé comment la Madone Sixtine, la Joconde ou une
Annonciation de Fra Angelico aurait été transformée par ce genre d’accrochage.
Bien sûr notre œil aussi, avec l’éducation à regarder qu’il a reçue, y est pour
quelque chose.
Cependant, et c’est ma conclusion provisoire sans toutefois
répondre à la question posée ci-dessus qui demanderait un plus long
développement, ce que cette exposition montre à voir à la Kunsthalle de Bâle
est un concept d’exposition plutôt que des œuvres, qui de ce fait sont au
service du concept plutôt que d’elles-mêmes. Les explications du texte
d’exposition ne nous mène guère plus loin, puisqu’il prend les visiteurs par la
main et leur explique les sentiments et les émotions qui peuvent les saisir en
parcourant l’accrochage selon le seul point de vue du commissaire. Le ton du
texte d’exposition qui se veut badin, genre visite de musée en course d’école, illustre
une forme d’infantilisation des visiteurs découlant du fait qu’on ne leur
accorde aucune confiance en leur propre capacité à saisir un nouvel
environnement. Il renvoie de facto à la faiblesse du concept mis en œuvre, que
la référence à la philosophie de l’ontologie orientée à l’objet de Quentin Meillassoux
ne parvient pas à masquer.
LG
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire